Aux marches du Carrock, dans la verte prairie qui s'étend avant les bois de Mirkwood, Béoran marchait. Sa démarche lourde, imposante, le faisait ressembler de loin à un plantigrade. Son aller bourru s'accompagnait cependant d'une dose d'agilité. Béoran n'était pas seul. A ses côtés, sur quatre pattes cheminait un ours imposant.
Ils allaient tous deux vers l'ouest, vers le gué qui leur permettrait de traverser et gagner les monts injustement occupés par les gobelins. Une lueur meurtrière traversa le regard de Béoran à cette pensée. Ce soir il aurait du sang noir sur les griffes... Comme le lui répétait souvent son oncle Béorn : « Un jour nous reviendrons et reprendrons ce qui est à nous ! ».
Béoran avançait, Ursus sur ses talons. Il portait une tenue légère, de cuir ainsi qu’un grand fléau qu’il avait récupéré cette funeste nuit, non loin du gué. Funeste, oui…
Dans le manoir familial, cette nuit là, de nombreux animaux domestiques s’étaient rassemblés. Ils avaient avertis de la progression d’un groupe important de Wargs, de gobelins et d’orques. Parmi cette troupe se trouvaient également quelques géants. Garbarn, son père, avait donné l’alerte, envoyant quelques messagers rapides aux manoirs alentours pour quérir des renforts : si cette troupe devait attaquer l’un des leurs ils seraient ensemble pour faire face.
L’attaque avait été fulgurante et c’est sur son manoir qu’elle avait fondu. Dans la rage du combat qui suivi, quelques images s’étaient imprégnées. La première fut la tête brisée de sa mère qu’un géant tua d’un coup de fléau. La seconde fut celle de cet ours énorme, Garbarn, qui étripa le géant avant d’être englouti dans la bataille. N’étant pas alors au bout de son initiation, tous les Béornides n’étant pas des changeurs de peau, Béoran avait saisit le fléau ayant tué sa mère et avait enfoncé, tout à sa rage du combat, les rangs gobelins. Ces souvenirs avaient quelque chose d'irréel. Il ne pouvait savoir si tout ceci avait duré quelques secondes ou plusieurs heures...
Béorn, et quelques autres était arrivés avec une étonnante rapidité. Etonnante mais non suffisante. Béoran était touché en maints endroits. Le manoir familial en ruine. Sa mère gisait sous un mur en partie effondré. Plus de trace de son père. Il serait retrouvé plus tard, dans le carrock, aux portes d’une grotte, sa tête sur un pieu. Pour Béoran la guerre était déclarée. En rassemblant quelques maigres affaires, il ne put retrouver les armes de sa famille : la grande Hache, le collier des Grands Ours, les Griffes de la Lune ces gants à griffes. Les pilleurs les avaient prises ainsi que d’autres trésors qu’ils conservaient. Il fut alors recueilli par Béorn, et appris de son oncle en quelques mois plus que pendant de nombreuses années. Il gagna en carrure, son jeune corps se couvrit davantage de poils, il devint sombre et partit de plus en plus souvent pour de longues retraites dans la nature, vers les lieux de culte et de rassemblement de ses ancêtres. Il développa un lien encore plus particulier avec la nature, sous les yeux parfois étonnés de son oncle. "Ce garçon porte en lui d'étranges choses, disait-il parfois, une partie lui vient de marace, mais le reste... "
Béoran avançait, il sortit de sa rêverie. Il était aux limites des terres contrôlées par les gobelins. Il se plaça derrière un rocher et observa ces êtres nuisibles, il sentit monter en lui l’appel sauvage, sa vision s’obscurcit… tout ne fut plus que carnage.
